Rencontre avec Romain, le leader du groupe Turzi, avant son concert à Metz, dans le cadre de son projet solo "Turzi Electronic Experience":
Le projet de Sufjan Stevens (qui avait déclaré vouloir faire un album dédié à chacun des 50 états américains) n'a semble t'il pas fait long feu. Ton ambition paraît plus accessible, puisqu'après avoir appelé tes albums «A» puis «B», il ne te reste plus que 24 disques à faire ?
(amusé) Non, c'est pas vrai... A, B, C, c’est une trilogie en fait, on verra après…. L’idée était de faire simple. Le premier album on l’a appelé A comme une lettre de début, un commencement, comme on aurait pu l’appeler 1. Après c’est à force de parler avec des journalistes, on a essayé de trouver un concept autour de la lettre A. La majeure partie de l’album est en «La», et le «La» en notation internationale c’est A donc ça tombait bien. On a appelé les morceaux Animal Signal, Afghanistan, Amadeus, etc… Les journalistes nous disaient d’eux même «alors le prochain album s’appellera B»? Donc on a fait B! Quand on est parti enregistrer l’album, on savait d’instinct qu’on allait faire B. L’idée était alors de trouver un concept autour de ça. On s’est dit qu'on faisait une musique de voyage et qu'on allait ne donner aux morceaux que des noms de villes commençant par B, on trouvait le titre avant même de commencer le morceau. On savait qu’on allait faire Bombay, avec des sonorités un peu indiennes et une violence un peu métal, au même titre que Brasillia, morceau très architectural électronique pur…enfin ça se faisait comme ça. Après, pour le troisième album, C, on verra. Moi je pense recentrer tout ça vers la France et les fromages, le Camenbert, le Cousteron, le Coulomier, le Chavroux…
C’est pour quand le troisième album ?
Je n'en sais rien, pour l’instant je travaille à un album de musique électronique, un peu comme ce que je vais faire ce soir, je travaille à mon rythme. Pour l’enregistrement de A, on avait déjà des morceaux, qu’on jouait depuis deux ans et qui ont été enregistrés tel quel quand on est entré en studio, en une semaine c’était plié et ils n'ont ensuite cessé d’évoluer lorsqu’on les jouait. Pour B c’était l’inverse. On a enregistré l’album alors qu’on n'avait aucun morceau, on a d'abord fait des morceaux et ensuite on les a ré-interprété sur scène, donc ils ont une gueule un peu nouvelle par rapport à l’album. J’aime bien cette notion de répétition, parce que c’est dans la répétition que doit se faire l’aliénation, mais je n’aime pas la reproduction fidèle sur scène des morceaux d’albums, je trouve qu’ils doivent pouvoir s’adapter, ils sont flexibles autant que nous pouvons l’être.
Tu aimes le renouvellement dans le processus créatif?
Oui, absolument, et l’espèce d’urgence, l’inattendu. Ce qui est intéressant, c’est de se laisser surprendre, en plein concert le bassiste peut changer une note, ce qui tout à coup va amener le morceau vers tout à fait autre chose, et c’est là qu‘est l’intérêt de jouer en groupe aussi.
Les références à la religion sont omniprésentes dans tes titres, as-tu des comptes à régler avec la religion, ou trouves-tu simplement que ça sonne bien ?
C’est vrai pour l’album A mais pas pour B. J’aime bien le côté déviant du rock’n'roll, Black Sabbath c’est la messe noire (des cloches retentissent à cet instant précis...), chez les Stooges, Led Zep, il y a un côté religieux mais c'est justement l’inverse… J’ai grandi à Versailles en face d’une église, j’ai été en pension chez les cathos, ça ressemblait d’ailleurs un peu à ce lieu (nous sommes dans le cloitre des Trinitaires), mine de rien ça fait partie de moi. Je ne pratique pas du tout par contre, ou juste un peu à Pâques…
Tu crois?
Je n’en sais rien. Je crois en tout cas à la musique spirituelle, au côté chamanique de la musique, son côté envoutant, la procession, le concert… Il y a un point commun évident, qui m’amuse d'ailleurs. Le fait de le prendre d’un point de vue un peu déviant, et qu'il y ait le « Notre Père » dans le premier album, si tu écoutes bien les paroles je ne les connais pas, je l’ai mal fait. Ensuite j’ai essayé de ré-enregistrer cette voix mais c’était toujours moins bien que la première, qui était complètement instinctive. L’histoire de ce morceau-là, c’est un truc que j’ai fait en deux heures, je me suis dit tiens on va mettre des voix un peu psalmodiées, à la Brigitte Fontaine, un truc qui coule. Immédiatement le premier truc qui est venu en tête c’était ça, donc je l’ai mis et on l’a gardé tel quel. Après on n'est pas fanatiques, on a plusieurs religions au sein du groupe. J’aime aussi le côté religieux dans la musique indienne par exemple.
Tu parlais du fait que tu viennes de Versailles. Ta musique est très éloignée de celles de Air ou Phoenix, plus pop, néanmoins est-ce qu’on peut aujourd'hui parler de Versailles comme du Brooklyn français?
Je vais dire oui et non. Je ne peux pas dire oui parce qu’à Brooklyn il n’y a que des petits bourgeois, des fils à papa qui viennent pour faire leur études et qui se prennent pour des artistes parce qu’ils sont à Brooklyn. Ce qui pourrait nous correspondre c’est que Versailles c’est un cadre très particulier, une ville très jolie, avec son château, une ville chargée d’histoire, où il n’y a pas de pauvreté apparente, et avec un rapport à l’art un peu particulier. Mes parents étaient très contents quand j’ai eu une guitare électrique et que j’ai commencé à faire de la musique, ils m’ont encouragé, même si l'on n'avait pas de musiciens dans la famille. Et il y a ce côté banlieue, où tu es un peu loin de tout, près de Paris mais sans y être, où l'on n'est pas au cœur de l’action. Là tu te retrouves un petit peu isolé, et se forment des espèces de «gangs», des groupes de potes comme ça se fait partout. Un truc fort, très soudé et propice à la création de groupes de musique. A Versailles moi j’habitais dans un appartement mais la plupart de mes potes avaient des maisons, des petits pavillons à la con, très ricains pour le coup avec des garages et on pouvait répéter, donc facilité. Les gars de Air sont plus âgés que moi et on ne s’est jamais vraiment rencontrés. Cela dit un des mecs prenait des cours de piano dans le même immeuble où j'en ai pris étant gamin. Il y a une école de musique à Versailles, l’école Lully, où tu peux faire musique-étude comme tu peux faire sport-étude dans d’autres villes, et le mec de Air vient de là. Il a donc cette éducation classique qu’il a réussi à faire sonner comme une musique actuelle, et tout ce bagage est intéressant. Phoenix, j’ai fait du skate avec eux quand j’avais 10 ans et on a fait quelques soirées ensemble. Ils sont aussi un peu plus âgés, mais c’est aussi un vrai groupe de potes qui jouent ensemble depuis longtemps, qui ont vécu ensuite ensemble dans des apparts à Paris et je trouve ça très bien. Mine de rien, pour mon groupe c’est pareil, ce sont mes plus vieux potes, on ne fait pas la même musique que Air ni Phoenix mais il y a un soucis de l’esthétisme qui pourrait être le point commun entre nos musiques respectives. Mes influences sont différentes, on ne touche pas les mêmes gens et on n'a pas le même discours autour de la musique, mais je les respecte beaucoup et je suis assez content car lorsque Phoenix a ressorti «Wolfgang Amadeus Phoenix» accompagné d’un disque de remixes ils m’ont demandé de remixer un de leurs titres. Une fois on jouait aux Etats-Unis, ils jouaient dans la même ville que nous et ils sont venus nous voir jouer, on a passé la soirée ensemble, c’était super.
Donc on peut parler de racine commune?
Oui car je ne renie pas du tout Versailles, même si on passe pour des petits bourgeois cathos et que je sais très bien que ça n’était pas ce que j'étais. Versailles est en fait surtout le lieu qui m’a permis de rencontrer mes potes.
Le succès actuel de Phoenix a t'il un impact sur la «scène» de Versailles?
Moi je l’ai vécu comme une fierté. Quand Air est sorti, il y a 10 ans, j’étais revenu de pension et je faisais mes études à Versailles, j’ai trouvé ça super encourageant. Ces mecs-là sont de ma rue. Je sais où il a prenaient des cours de piano, je sais où il étaient au lycée, le grand frère de mes potes les connaît, etc… On avait eu l’album 3 ou 4 mois avant sa sortie, on avait eu le temps de l’écouter, de l’analyser, et c’était une super motivation. Je ne dis pas que ça a été un point de départ parce que je viens d’une autre musique que ça, plutôt de la musique dissonnante, Sonic Youth, My Bloody Valentine, mais c’était super encourageant de se dire qu'il y avait des p’tits gars de notre rue qui avaient réussi à percer, à faire quelque chose d’original (est-ce que c’est vraiment original Air d’ailleurs..?) En tout cas ce fut une vraie motivation. Air m'a clairement donné envie de découvrir le synthétiseur. D'ailleurs ce soir je ferai exclusivement du synthétiseur alors que je viens de la guitare. Ca nous a ouvert des voies, et de rencontrer le label Record Makers, que Air avait fondé pour sortir la B.O. de Virgin Suicides. En fait, l’érudition ou l’ouverture d’esprit que j’ai pu avoir, le fait de me mettre dans tel courant musical et de choisir telles références pour les placer en maître absolu a fait qu’on a pris des orientations qui n'étaient pas forcément les mêmes que tout le monde. J'avoue que la pop ne m’a jamais intéressé, les Beatles, etc… Aujourd'hui je m’y ouvre un peu plus, peut-être parce que j’ai 30 ans et que j’ai un enfant (rires), mais avant il n’en était pas question, c’était le diable personnifié. On a fait notre petit parcours comme ça en créant nos propres règles et en faisant notre propre musique, et on a rencontré les bonnes personnes lorsque l'on était à Paris.
Pour rester sur le thème des influences, de nombreux artistes revendiquent aujourd'hui en France leurs influences Krautrock (Joakim, Etienne Jaumet à travers son projet Zombie Zombie ou Electric Electric). As-tu des affinités avec ces musiciens? Et peut-on parler de "scène"?
Une scène je ne sais pas, mais pour nous le Krautrock été un deuxième point de départ. Je me rends compte qu’au moment où tout le monde s’est mis à faire de la musique sur ordinateur avec le home studio, et même si on écoutait du jazz et de la musique black, ce n’est pas ça qui m’a donné envie de faire de la musique sur ordinateur. Les premiers trucs que j’ai samplé ce n’était pas Isaac Hayes mais plutôt Can, parce qu’il y avait des moments ou la rythmique était isolée, et que venant du rock je trouvais plus intéressant d’aller le sampler en faisant une petite basse derrière et en arrivant assez rapidement à un résultat qui me satisfaisait. Tout ça en do it yourself total, la guitare branché direct sur l’ordinateur, avec le moins de production possible et le plus d’instinct et d'immédiateté, ce qu'on retrouve beaucoup dans le Krautrock. C’est une musique un peu faite d’improvisation, qui ne se soucie peu des codes en général mais qui axe tout sur une idée de voyage. Tu peux te laisser imbiber par ce truc et te retrouver dans un état de quasi-transe. C'est ça qui m’a toujours plu dans le Krautrock, sur lequel je suis un peu tombé par hasard, à un moment où l'on n'était pas nombreux à en écouter. A la vingtaine, peu de gens de notre âge disaient «Can, Neu, c'est génial!». Maintenant ça fait 10 ans que j’ai l’impression de le connaître, il y a plein de trucs qui sont catalogués «Kraut» et qui pour moi ne le sont pas. Finalement ça devient aujourd'hui un espèce de gros fourre-tout, mais ça a été un point de départ, en tout cas ça m’a encouragé au moment où tout le monde faisait du trip-hop chez soi, où tout le monde avait lâché le rock alors qu’on en venait tous, c’était le truc qui a permis de s’y remettre, d’intégrer la guitare électrique qu’on avait quand on avait 14 ans et de faire le lien avec tout ça, et même avec le jazz et donc l’improvisation. Etienne Jaumet, on se voit tous les jours, on a des studios l’un en face de l’autre. Avec Zombie Zombie on est très proche musicalement, d'ailleurs j’ai joué sur leur album on les invite régulièrement à faire des concerts avec nous ou l’inverse. Là on peut vraiment parler de famille. Joakim et Zombie Zombie se connaissent très bien mais je ne l’ai jamais encore rencontré. Quand nos albums sont sortis en même temps, on nous a rapidemment catalogués tous les trois, mais j’ai envie de dire que notre réelle famille avec Arthur (bassiste de Turzi) c’est le label qu’on a monté ensemble, Pan European Recordings. Et là pour le coup c’est en priorité une histoire de potes, de famille musicale et d’appartenance. Avec Turzi on n'est pas arrivé les premiers avec ce discours mais presque, la presse a suivi, les ventes d’albums non mais ça c’est un autre problème... Ensuite on a crée ce label en voyant ce qu'il y avait juste à côté de nous. On a deux ans d’existence, on fait plein de concerts et ça a redonné envie à nos potes de faire de la musique, ils ont remonté des groupes qu'on peut sortir sur le label. On regarde ce qu’il font, eux aussi, on se donne des conseils et on évolue ensemble. Donc on est revenu à ce truc de nos 15 ans avec des groupes partout et c’est génial. Et tant pis pour les groupes qu’on ne connaît pas et qui veulent signer chez Pan European, car il faut que ça nous parle, qu’on se comprenne et puis on ne va pas faire quinze groupes de Krautrock, on ne veut pas non plus se répéter. On veut évoluer, proposer quelque chose d’original et le maitre mot de tout Pan European c’est la première compilation qu’on assorti et qui s’appelle Voyage. il y a dessus Aqua Nebula Oscillator, des espèces de freaks hyper cool, le mec vit dans une cave depuis quinze ans, il a bientôt 40 ans et vit complètement son art, il est authentique. Dans notre label, l’authenticité des mecs est même plus importante que le voyage.
Votre label (Pan European Recording) est donc à la fois défricheur et exigeant. La dernière sortie (l'excellent disque de Koudlam) est-elle celle qui a connu le plus de succès à ce jour?
Oui, clairement car elle ouvre vraiment vers autre chose, et c'est l'artiste du label qui a les influences les plus variées et les plus originales, cela fédère des gens d'horizons différents et c'est une satisfaction énorme et un beau résultat pour nous. Koudlam est un mec qui vient de Grenoble, on l'a rencontré il y quatre ans lors d'un concert et on s'est compris. Il était seul avec son laptop, avec des sons considérés à l'époque comme ringards (synthés 80's, flûte de pan...), il foutait un coup de pied dans l'establishment et croyait à son truc. C'est lui qui nous a donné envie de créer le label avec les autres groupes, ça a été le déclencheur.
Le morceau «Buenos Aires» peut faire penser par moments à du Jean-Michel Jarre. C'est un clin d'oeil volontaire?
Peut-être le côté esthétique versaillais. Je l'ai vu quand j'avais dix ans, mais ça n'a jamais été trop mon truc. La musique électronique, je l'ai découverte avec Air. Alors même s'il fait des plans «pompiers», il a un soucis de l'esthétisme que j'aime bien. Il a une super carrière et ses disques ont bien vieillit. On a fait des tournées avec Tim Blake (clavier de Gong), qui est un des premiers à avoir fait seul des concerts de musiques électroniques avec des lasers, etc... On a fait un petit bout de chemin ensemble, j'ai hérité de ses synthés et je suis assez fasciné par ces mecs seuls avec des synthés dans les 70's. C'est casse-gueule, il y a plein d'erreurs (d'ailleurs ce soir je vais en faire). Je trouve ça honnête vis-à-vis des gens, il y a de l'imprévu et c'est ça qui est intéressant. J'ai pu rencontrer Jarre il y a deux ans quand il a rejoué avec les synthés d'époque. Notre génération n'a pas connu ça, à part avec Air. Des concerts de musique synthétique avec des vrais synthés, comme ceux de Tangerine Dream ou Klaus Schulze, on voit tout de suite la différence. Les laptop, ça n'est pas la même démarche artistique ni la même mise en danger. Il y a quelque chose d'humain. D'où mon envie de m'émanciper, de faire plus régulièrement des concerts seul (sous le nom de Turzi Electronic Experience ?). Le rock de Turzi est plus influencé par la musique électronique que par le couplet/refrain, et dans mon approche de la musique électronique il y a ces synthés stridents, ce côté rock. La musique de Turzi peut prendre différentes formes, d'après nos personnalités. Chaque machine va m'inspirer des choses nouvelles et différentes, et on renouvelle d'ailleurs assez souvent le stock de matériel. Tout est fait de rencontres.
Il y a un côté très cinématographique dans ta musique. Quel film choisirais-tu pour en refaire la musique?
Ce côté-là, c'est parfaitement ce que je recherche. Pour le film, on a déjà fait «Metropolis» à six sur scène, c'était une commande pour un festival. J'ai de grosses lacunes en cinéma, j'oublie tout mais je me souviens des BO. Il existe un enregistrement de cette soirée, mais de mauvaise qualité. Sinon à cause de problèmes de droits, on a joué au Point Ephémère la BO mais sans diffusion du film. L'exercice est super, en revanche c'est du travail et on était six à le faire. Pour les autres films, personnellement je suis fan de Morricone, c'est le maestro tout genre musicaux confondus. Peut-être «Koyaanisqatsi», où l'image est au service de la musique de Philip Glass, que j'aime beaucoup, tout comme Steve Reich. Les musiques de films m'influencent tout autant que les albums «normaux». Ce que je recherche dans la musique c'est la destruction, le paysage, l'ambiance. Des gens peuvent s'imaginer des films en écoutant notre musique. En ce moment, je travaille aussi sur une BO, celle du prochain film de Nicolas Klotz («La question humaine»), avec son fils d'ailleurs.
(Entretien : Seb Grisey et Cédric B)
Tu aimes le renouvellement dans le processus créatif?
Oui, absolument, et l’espèce d’urgence, l’inattendu. Ce qui est intéressant, c’est de se laisser surprendre, en plein concert le bassiste peut changer une note, ce qui tout à coup va amener le morceau vers tout à fait autre chose, et c’est là qu‘est l’intérêt de jouer en groupe aussi.
Les références à la religion sont omniprésentes dans tes titres, as-tu des comptes à régler avec la religion, ou trouves-tu simplement que ça sonne bien ?
C’est vrai pour l’album A mais pas pour B. J’aime bien le côté déviant du rock’n'roll, Black Sabbath c’est la messe noire (des cloches retentissent à cet instant précis...), chez les Stooges, Led Zep, il y a un côté religieux mais c'est justement l’inverse… J’ai grandi à Versailles en face d’une église, j’ai été en pension chez les cathos, ça ressemblait d’ailleurs un peu à ce lieu (nous sommes dans le cloitre des Trinitaires), mine de rien ça fait partie de moi. Je ne pratique pas du tout par contre, ou juste un peu à Pâques…
Tu crois?
Je n’en sais rien. Je crois en tout cas à la musique spirituelle, au côté chamanique de la musique, son côté envoutant, la procession, le concert… Il y a un point commun évident, qui m’amuse d'ailleurs. Le fait de le prendre d’un point de vue un peu déviant, et qu'il y ait le « Notre Père » dans le premier album, si tu écoutes bien les paroles je ne les connais pas, je l’ai mal fait. Ensuite j’ai essayé de ré-enregistrer cette voix mais c’était toujours moins bien que la première, qui était complètement instinctive. L’histoire de ce morceau-là, c’est un truc que j’ai fait en deux heures, je me suis dit tiens on va mettre des voix un peu psalmodiées, à la Brigitte Fontaine, un truc qui coule. Immédiatement le premier truc qui est venu en tête c’était ça, donc je l’ai mis et on l’a gardé tel quel. Après on n'est pas fanatiques, on a plusieurs religions au sein du groupe. J’aime aussi le côté religieux dans la musique indienne par exemple.
Tu parlais du fait que tu viennes de Versailles. Ta musique est très éloignée de celles de Air ou Phoenix, plus pop, néanmoins est-ce qu’on peut aujourd'hui parler de Versailles comme du Brooklyn français?
Je vais dire oui et non. Je ne peux pas dire oui parce qu’à Brooklyn il n’y a que des petits bourgeois, des fils à papa qui viennent pour faire leur études et qui se prennent pour des artistes parce qu’ils sont à Brooklyn. Ce qui pourrait nous correspondre c’est que Versailles c’est un cadre très particulier, une ville très jolie, avec son château, une ville chargée d’histoire, où il n’y a pas de pauvreté apparente, et avec un rapport à l’art un peu particulier. Mes parents étaient très contents quand j’ai eu une guitare électrique et que j’ai commencé à faire de la musique, ils m’ont encouragé, même si l'on n'avait pas de musiciens dans la famille. Et il y a ce côté banlieue, où tu es un peu loin de tout, près de Paris mais sans y être, où l'on n'est pas au cœur de l’action. Là tu te retrouves un petit peu isolé, et se forment des espèces de «gangs», des groupes de potes comme ça se fait partout. Un truc fort, très soudé et propice à la création de groupes de musique. A Versailles moi j’habitais dans un appartement mais la plupart de mes potes avaient des maisons, des petits pavillons à la con, très ricains pour le coup avec des garages et on pouvait répéter, donc facilité. Les gars de Air sont plus âgés que moi et on ne s’est jamais vraiment rencontrés. Cela dit un des mecs prenait des cours de piano dans le même immeuble où j'en ai pris étant gamin. Il y a une école de musique à Versailles, l’école Lully, où tu peux faire musique-étude comme tu peux faire sport-étude dans d’autres villes, et le mec de Air vient de là. Il a donc cette éducation classique qu’il a réussi à faire sonner comme une musique actuelle, et tout ce bagage est intéressant. Phoenix, j’ai fait du skate avec eux quand j’avais 10 ans et on a fait quelques soirées ensemble. Ils sont aussi un peu plus âgés, mais c’est aussi un vrai groupe de potes qui jouent ensemble depuis longtemps, qui ont vécu ensuite ensemble dans des apparts à Paris et je trouve ça très bien. Mine de rien, pour mon groupe c’est pareil, ce sont mes plus vieux potes, on ne fait pas la même musique que Air ni Phoenix mais il y a un soucis de l’esthétisme qui pourrait être le point commun entre nos musiques respectives. Mes influences sont différentes, on ne touche pas les mêmes gens et on n'a pas le même discours autour de la musique, mais je les respecte beaucoup et je suis assez content car lorsque Phoenix a ressorti «Wolfgang Amadeus Phoenix» accompagné d’un disque de remixes ils m’ont demandé de remixer un de leurs titres. Une fois on jouait aux Etats-Unis, ils jouaient dans la même ville que nous et ils sont venus nous voir jouer, on a passé la soirée ensemble, c’était super.
Donc on peut parler de racine commune?
Oui car je ne renie pas du tout Versailles, même si on passe pour des petits bourgeois cathos et que je sais très bien que ça n’était pas ce que j'étais. Versailles est en fait surtout le lieu qui m’a permis de rencontrer mes potes.
Le succès actuel de Phoenix a t'il un impact sur la «scène» de Versailles?
Moi je l’ai vécu comme une fierté. Quand Air est sorti, il y a 10 ans, j’étais revenu de pension et je faisais mes études à Versailles, j’ai trouvé ça super encourageant. Ces mecs-là sont de ma rue. Je sais où il a prenaient des cours de piano, je sais où il étaient au lycée, le grand frère de mes potes les connaît, etc… On avait eu l’album 3 ou 4 mois avant sa sortie, on avait eu le temps de l’écouter, de l’analyser, et c’était une super motivation. Je ne dis pas que ça a été un point de départ parce que je viens d’une autre musique que ça, plutôt de la musique dissonnante, Sonic Youth, My Bloody Valentine, mais c’était super encourageant de se dire qu'il y avait des p’tits gars de notre rue qui avaient réussi à percer, à faire quelque chose d’original (est-ce que c’est vraiment original Air d’ailleurs..?) En tout cas ce fut une vraie motivation. Air m'a clairement donné envie de découvrir le synthétiseur. D'ailleurs ce soir je ferai exclusivement du synthétiseur alors que je viens de la guitare. Ca nous a ouvert des voies, et de rencontrer le label Record Makers, que Air avait fondé pour sortir la B.O. de Virgin Suicides. En fait, l’érudition ou l’ouverture d’esprit que j’ai pu avoir, le fait de me mettre dans tel courant musical et de choisir telles références pour les placer en maître absolu a fait qu’on a pris des orientations qui n'étaient pas forcément les mêmes que tout le monde. J'avoue que la pop ne m’a jamais intéressé, les Beatles, etc… Aujourd'hui je m’y ouvre un peu plus, peut-être parce que j’ai 30 ans et que j’ai un enfant (rires), mais avant il n’en était pas question, c’était le diable personnifié. On a fait notre petit parcours comme ça en créant nos propres règles et en faisant notre propre musique, et on a rencontré les bonnes personnes lorsque l'on était à Paris.
Pour rester sur le thème des influences, de nombreux artistes revendiquent aujourd'hui en France leurs influences Krautrock (Joakim, Etienne Jaumet à travers son projet Zombie Zombie ou Electric Electric). As-tu des affinités avec ces musiciens? Et peut-on parler de "scène"?
Une scène je ne sais pas, mais pour nous le Krautrock été un deuxième point de départ. Je me rends compte qu’au moment où tout le monde s’est mis à faire de la musique sur ordinateur avec le home studio, et même si on écoutait du jazz et de la musique black, ce n’est pas ça qui m’a donné envie de faire de la musique sur ordinateur. Les premiers trucs que j’ai samplé ce n’était pas Isaac Hayes mais plutôt Can, parce qu’il y avait des moments ou la rythmique était isolée, et que venant du rock je trouvais plus intéressant d’aller le sampler en faisant une petite basse derrière et en arrivant assez rapidement à un résultat qui me satisfaisait. Tout ça en do it yourself total, la guitare branché direct sur l’ordinateur, avec le moins de production possible et le plus d’instinct et d'immédiateté, ce qu'on retrouve beaucoup dans le Krautrock. C’est une musique un peu faite d’improvisation, qui ne se soucie peu des codes en général mais qui axe tout sur une idée de voyage. Tu peux te laisser imbiber par ce truc et te retrouver dans un état de quasi-transe. C'est ça qui m’a toujours plu dans le Krautrock, sur lequel je suis un peu tombé par hasard, à un moment où l'on n'était pas nombreux à en écouter. A la vingtaine, peu de gens de notre âge disaient «Can, Neu, c'est génial!». Maintenant ça fait 10 ans que j’ai l’impression de le connaître, il y a plein de trucs qui sont catalogués «Kraut» et qui pour moi ne le sont pas. Finalement ça devient aujourd'hui un espèce de gros fourre-tout, mais ça a été un point de départ, en tout cas ça m’a encouragé au moment où tout le monde faisait du trip-hop chez soi, où tout le monde avait lâché le rock alors qu’on en venait tous, c’était le truc qui a permis de s’y remettre, d’intégrer la guitare électrique qu’on avait quand on avait 14 ans et de faire le lien avec tout ça, et même avec le jazz et donc l’improvisation. Etienne Jaumet, on se voit tous les jours, on a des studios l’un en face de l’autre. Avec Zombie Zombie on est très proche musicalement, d'ailleurs j’ai joué sur leur album on les invite régulièrement à faire des concerts avec nous ou l’inverse. Là on peut vraiment parler de famille. Joakim et Zombie Zombie se connaissent très bien mais je ne l’ai jamais encore rencontré. Quand nos albums sont sortis en même temps, on nous a rapidemment catalogués tous les trois, mais j’ai envie de dire que notre réelle famille avec Arthur (bassiste de Turzi) c’est le label qu’on a monté ensemble, Pan European Recordings. Et là pour le coup c’est en priorité une histoire de potes, de famille musicale et d’appartenance. Avec Turzi on n'est pas arrivé les premiers avec ce discours mais presque, la presse a suivi, les ventes d’albums non mais ça c’est un autre problème... Ensuite on a crée ce label en voyant ce qu'il y avait juste à côté de nous. On a deux ans d’existence, on fait plein de concerts et ça a redonné envie à nos potes de faire de la musique, ils ont remonté des groupes qu'on peut sortir sur le label. On regarde ce qu’il font, eux aussi, on se donne des conseils et on évolue ensemble. Donc on est revenu à ce truc de nos 15 ans avec des groupes partout et c’est génial. Et tant pis pour les groupes qu’on ne connaît pas et qui veulent signer chez Pan European, car il faut que ça nous parle, qu’on se comprenne et puis on ne va pas faire quinze groupes de Krautrock, on ne veut pas non plus se répéter. On veut évoluer, proposer quelque chose d’original et le maitre mot de tout Pan European c’est la première compilation qu’on assorti et qui s’appelle Voyage. il y a dessus Aqua Nebula Oscillator, des espèces de freaks hyper cool, le mec vit dans une cave depuis quinze ans, il a bientôt 40 ans et vit complètement son art, il est authentique. Dans notre label, l’authenticité des mecs est même plus importante que le voyage.
Votre label (Pan European Recording) est donc à la fois défricheur et exigeant. La dernière sortie (l'excellent disque de Koudlam) est-elle celle qui a connu le plus de succès à ce jour?
Oui, clairement car elle ouvre vraiment vers autre chose, et c'est l'artiste du label qui a les influences les plus variées et les plus originales, cela fédère des gens d'horizons différents et c'est une satisfaction énorme et un beau résultat pour nous. Koudlam est un mec qui vient de Grenoble, on l'a rencontré il y quatre ans lors d'un concert et on s'est compris. Il était seul avec son laptop, avec des sons considérés à l'époque comme ringards (synthés 80's, flûte de pan...), il foutait un coup de pied dans l'establishment et croyait à son truc. C'est lui qui nous a donné envie de créer le label avec les autres groupes, ça a été le déclencheur.
Le morceau «Buenos Aires» peut faire penser par moments à du Jean-Michel Jarre. C'est un clin d'oeil volontaire?
Peut-être le côté esthétique versaillais. Je l'ai vu quand j'avais dix ans, mais ça n'a jamais été trop mon truc. La musique électronique, je l'ai découverte avec Air. Alors même s'il fait des plans «pompiers», il a un soucis de l'esthétisme que j'aime bien. Il a une super carrière et ses disques ont bien vieillit. On a fait des tournées avec Tim Blake (clavier de Gong), qui est un des premiers à avoir fait seul des concerts de musiques électroniques avec des lasers, etc... On a fait un petit bout de chemin ensemble, j'ai hérité de ses synthés et je suis assez fasciné par ces mecs seuls avec des synthés dans les 70's. C'est casse-gueule, il y a plein d'erreurs (d'ailleurs ce soir je vais en faire). Je trouve ça honnête vis-à-vis des gens, il y a de l'imprévu et c'est ça qui est intéressant. J'ai pu rencontrer Jarre il y a deux ans quand il a rejoué avec les synthés d'époque. Notre génération n'a pas connu ça, à part avec Air. Des concerts de musique synthétique avec des vrais synthés, comme ceux de Tangerine Dream ou Klaus Schulze, on voit tout de suite la différence. Les laptop, ça n'est pas la même démarche artistique ni la même mise en danger. Il y a quelque chose d'humain. D'où mon envie de m'émanciper, de faire plus régulièrement des concerts seul (sous le nom de Turzi Electronic Experience ?). Le rock de Turzi est plus influencé par la musique électronique que par le couplet/refrain, et dans mon approche de la musique électronique il y a ces synthés stridents, ce côté rock. La musique de Turzi peut prendre différentes formes, d'après nos personnalités. Chaque machine va m'inspirer des choses nouvelles et différentes, et on renouvelle d'ailleurs assez souvent le stock de matériel. Tout est fait de rencontres.
Il y a un côté très cinématographique dans ta musique. Quel film choisirais-tu pour en refaire la musique?
Ce côté-là, c'est parfaitement ce que je recherche. Pour le film, on a déjà fait «Metropolis» à six sur scène, c'était une commande pour un festival. J'ai de grosses lacunes en cinéma, j'oublie tout mais je me souviens des BO. Il existe un enregistrement de cette soirée, mais de mauvaise qualité. Sinon à cause de problèmes de droits, on a joué au Point Ephémère la BO mais sans diffusion du film. L'exercice est super, en revanche c'est du travail et on était six à le faire. Pour les autres films, personnellement je suis fan de Morricone, c'est le maestro tout genre musicaux confondus. Peut-être «Koyaanisqatsi», où l'image est au service de la musique de Philip Glass, que j'aime beaucoup, tout comme Steve Reich. Les musiques de films m'influencent tout autant que les albums «normaux». Ce que je recherche dans la musique c'est la destruction, le paysage, l'ambiance. Des gens peuvent s'imaginer des films en écoutant notre musique. En ce moment, je travaille aussi sur une BO, celle du prochain film de Nicolas Klotz («La question humaine»), avec son fils d'ailleurs.
(Entretien : Seb Grisey et Cédric B)
Turzi Electronic Experience, pour une performance en solo aux Trinitaires (Metz, le 19/03/10)
( Polaroid et photos concert : Seb Grisey )
(merci à toute l'équipe des Trinitaires)
Le remix de "Love like A Sunset" par Turzi en écoute dans le lecteur
Hey guys,
RépondreSupprimerMerci pour cette interview, ma foi fort passionnante.
J'avais eu la chance de pouvoir discuter avec Romain Turzi et sa bande après leur concert dans ce même lieu en 2006.
On sentait déjà chez lui cette passion pour la musique et l'envie d'en parler intelligemment à ceux qui ont pris la peine de venir les écouter.
J'en profite aussi pour vous filer le lien vers la vidéo que l'on a faite d'eux lors de ce festival des Musiques Volantes : http://www.dailymotion.com/video/xrjmo_turzi-musiquesvolantes2006_music
Allez à ce soir pour un autre groupe versaillais de passage en Lorraine...